Je souhaite partager ici un haïbun de Danièle Duteil sur le haïku que je trouve absolument magnifique ! Elle y exprime tout mon ressenti à propos du haïku !

Il s’agit d’un haïbun très personnel mais nul doute que chaque passionné de haïku pourra s’y retrouver…

 

(Si vous le souhaitez, vous pourrez trouver ici la définition du haïbun : http://association-francophone-haibun.com/le-haibun/)

 

 

 

 

Dans ma vieille maison

Il y a peu un homme, qui assistait à une présentation d’un de mes livres, a souhaité savoir comment j’étais venue à l’écriture du haïku, « une poésie située tellement aux antipodes de notre poésie occidentale », et ce qui m’avait attirée dans ce petit poème.

Pour préambule à notre échange, je lui lus ce tercet :

 

fenêtre grande ouverte *

je n’y vois

que le présent 

 

J’aurais pu tout autant lui citer celui-ci de Midorijo Abé, si je l’avais eu sous la main, bien d’autres encore : 

 

Agréablement seule **

dans le silence – 

concombre haché au sel 

 

Lorsque je décidai de me pencher sur le haïku il y a une douzaine d’années, je traversais un passage à vide. Fatiguée par les mille soucis quotidiens, je fus à la fois déconcertée et ravie par sa simplicité et son dépouillement extrême. Ce petit poème n’était pas expansif, mais il laissait entrevoir beaucoup, notamment de nouvelles perspectives.

 

silence ***

entre deux langues de terre

le pas du héron 

 

Mais quoi ? Cette miniature me procurait une douce sérénité, l’impression de poser des valises trop lourdes ou d’enlever des chaussures trop étroites. Pas simplement un ressenti physique d’ailleurs. J’éprouvais aussi une sorte de désencombrement psychique. Chez moi, je me sentais la tête beaucoup plus légère après avoir mis de l’ordre dans tout le petit fouillis qui m’entourait. Hop et hop ! Ne laisser que quelques objets essentiels, éclaircir la voie… Ah, mais oui ! les haïjins des premiers temps avaient déjà tout compris…

 

la mèche fine de la lampe ****

rien d’autre 

dans mon ermitage en automne 

 

Le haïku ne s’alourdit pas de mots, il élague. N’étant pas pesant, il passe sans surcharger. Il laisse pourtant une trace quasi indélébile dans un coin de la tête, ou du cœur… Allez savoir où se nichent les émotions !

Son vocabulaire est celui de tous les jours, simple mais précis. Du coup, il devient extrêmement concret.

Je comprenais bien le message qu’il me délivrait. Pour trouver l’apaisement, il fallait savoir goûter pleinement l’instant offert, s’ancrer dans le réel, humer l’air à pleins poumons, fermer les yeux afin de percevoir la respiration de la terre et ses vibrations, son rythme personnel aussi…

 

pieds nus *****

dans l’herbe 

après avoir longuement marché  

 

Le haïku m’invite à un contact charnel, au plein sens du terme ici, avec les éléments. Il agit selon le principe des vases communicants, permettant de déverser un trop plein de fatigue ou de pression sans risque de retour fâcheux, bien au contraire. Oublié le gros nombril du « je » qui me dévore intérieurement. M’attachant aux choses du dehors, celles qui suivent le cours universel, j’évacue les charges intérieures et refais le plein d’énergie. Le processus est identique lorsqu’on parvient à se concentrer sur une tâche, fût-elle aussi banale que le geste de hacher un concombre. 

Le haïku, c’est l’apprentissage de la sagesse. Pourquoi vouloir accomplir des choses extravagantes ? Quand il s’agit d’habiter pleinement le moment présent à travers la simplicité d’un geste réfléchi. Au regard du cosmos, il n’existe pas de hiérarchie dans ce domaine, ni dans les autres d’ailleurs.

L’air de rien, le haïku me permettait de parvenir plus souvent à une sensation de plénitude. Tout bêtement, en prenant l’habitude de considérer différemment l’environnement ordinaire, je luttais contre les vieux réflexes qui consistent, dans notre société occidentale, à vouloir toujours complexifier.

 

dans ma vieille maison ******

redressant ce qui est tordu 

l’été indien 

 

Danièle Duteil

 

(Haïbun publié dans la revue « Gong » N°57, dossier « Haïku et développement personnel » dirigé par Pascale Senk)

 

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  *L’odeur du fenouil sauvage, Danièle Duteil et Damien Gabriels, Pippa, 2016.

  **Du rouge aux lèvres, Makoto Kemmoku et Dominique Chipot, La Table Ronde, 2008.

  ***Danièle Duteil, Gaspésie, juin 2017.

  ****Buson, in l’hôte, l’invité et le chrysanthème blanc, trad. Wing fun Cheng et Hervé Collet, Moudarren 2007)

 ***** Ecouter les heures, Danièle Duteil, Prix du haïku 2013, Association pour la promotion du haïku (APH).

****** Buson : idem ****.

 

 

 

 

 

 

6 thoughts on “Haibun sur le haïku de Danièle Duteil

  1. Je découvre le haïbun ! C’est une belle façon d’exprimer sa passion pour le haïku !! C’est beau et intense !! 🙂
    Comme elle le dit si bien , le haïku n’est rien de moins que « l’apprentissage de la Sagesse » … ! Je comprends que tu te retrouves beaucoup dans ses mots….. !! 😍

    1. Oui et je me retrouve parfaitement dans ses mots. Le partager est aussi pour moi une façon d’exprimer mon ressenti. Heureuse qu’il te plaise 😊

  2. Très beau ! J’adore ce mélange de prose et de haiku…c’est d’une clarté…! 😍
    Merci pour le partage ! 😊 Et merci à Danièle Duteil pour ce beau texte !

    1. Oui, la prose, quand elle est bien écrite, est aussi très agréable à lire et c’est le cas ici ! Le haïbun est un savant mélange que j’aimerais expérimenter…

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